1.875 euros mensuels de dépense publique par SDF
Malgré des chiffres approximatifs, voilà une belle illustration d’un problème posé par les associations d’aide aux pauvres en France. En effet, la multiplication de celles dépendant en grande partie de financements publics a plusieurs conséquences :
- La dispersion de l’effort financier collectif.
- La création d’une pléthore administrative pour gérer et utiliser ces fonds.
- L’impression pour chaque association d’être délaissée.
- Le risque de soutenir l’établissement d’institutions qui auront intérêt à ce que la situation perdure (sur ce point, je note tout de même l’action louable des Restos du Coeur qui ont décidé de ne pas fêter leur anniversaire, au motif que leur association avait vocation à disparaître), ou qui ne voudront pas s’arrêter même si cela est économiquement et socialement plus rentable (par exemple si l’on souhaitait rationnaliser les processus et donc supprimer un certain nombre de doublons ou d’agents peu efficaces).
Au final, on finit, comme dans cet article des Echos, par payer plus cher cette forme a priori bonne d’assistance publique, que de donner l’argent directement, sans conditions, à ces personnes. Notons qu’il en va de même pour de nombreux autres mécanismes sociaux (bourses, AES…) pour lesquels les coûts administratifs et de tenue de « commissions » ou autres « comités » représente probablement plus que le montant des aides attribuées. On pensera enfin sur ce sujet à Jacques Attali, qui s’en est fait une spécialité avec le micro-crédit (« 3% du budget arrive dans la poche des demandeurs »).
La solution, radicale mais je pense efficace, serait de faire le ménage (= supprimer tous les intermédiaires dans la chaîne de valeur), puis soit de confier cette mission d’intérêt public à un nombre restreint d’acteurs privés, avec un audit sur les besoins réels (ce n’est quand même pas si compliqué de calculer le coût d’une chambre et de la nourriture ! Ce n’est rien d’autre que ce que font les hôtels et restaurants), soit de supprimer tous les intermédiaires et de verser un budget strictement réduit aux besoins de survie (pas besoin de 1875€, selon les villes, de 400€ à 800€ par mois devrait suffire), directement aux intéressés. Après s’ils veulent une qualité de vie supérieure, charge à eux de faire le nécessaire.
Les Echos, 10/03/2008 – JULIEN DAMON
Le gouvernement vient d’annoncer 250 millions d’euros supplémentaires pour la prise en charge des SDF. Et les associations, gestionnaires de ces services de prise en charge, de rétorquer qu’il s’agit d’un plan manifestement insuffisant, voire d’une provocation. La somme est pourtant absolument considérable. Tentons d’y voir clair.
Depuis une vingtaine d’années, en réponse au problème très visible des sans-abri, des dispositifs aujourd’hui qualifiés d’urgence sociale ont été créés. Ces services et équipements varient selon les villes et les départements. Ils proposent des centres d’accueil d’urgence, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), des accueils de jour, des Samu sociaux, une ligne téléphonique gratuite d’urgence pour les sans-abri, le « 115 ».
La Cour des comptes recensait, pour fin 2005, 13.000 places d’hébergement d’urgence, 9.000 places à l’hôtel et 31.000 places en CHRS. Pendant la période hivernale, une dizaine de milliers de places supplémentaires d’accueil peuvent être ouvertes. S’ajoutent quelques milliers de logements adaptés, par exemple dans des « résidences sociales » ou des « maisons relais ». On doit également compter 36.000 places dans des centres et des hôtels pour demandeurs d’asile. Au total, ce sont, pour les sans-domicile, une centaine de milliers de places, avec des modes de gestion et de financement différents et effroyablement compliqués.
La prise en charge des SDF forme maintenant un système alambiqué, mêlant travail social salarié et bénévolat, grandes institutions publiques et petites associations privées, aide sociale obligatoire et action sociale facultative, interventions de l’Etat et des collectivités territoriales. Ce sont quasi intégralement les fonds publics qui font vivre les opérateurs, principalement associatifs.
Chaque hiver voit naître son lot d’initiatives médiatiques – les dernières en date étant celles des Enfants de Don Quichotte sur le canal Saint-Martin ou en face de Notre-Dame à Paris – et de polémiques concernant l’adaptation des accueils, le financement des services, la coopération des associations, les responsabilités des uns et des autres.
Les crédits affectés à l’urgence sociale et à la réinsertion sociale sont en constante augmentation. Il s’agit probablement d’une des dépenses publiques qui a le plus abondamment crû depuis le milieu des années 1980. A ce moment, ils ne représentaient rien. En 2002, ils pesaient, à la seule charge de l’Etat, 500 millions d’euros ; plus d’un milliard en 2006. Il faut y ajouter les dépenses des collectivités locales, difficilement évaluables, mais représentant certainement un minimum de plusieurs dizaines de millions d’euros. Il faut encore y ajouter le montant des prestations sociales, dont bénéficient les personnes « sans résidence stable ». Toutes prestations légales confondues (avec le RMI et les allocations familiales par exemple), c’est une dépense d’environ 400 millions d’euros. On peut considérer que les pouvoirs publics dépensent au moins 1,5 milliard d’euros, et probablement plutôt 2 milliards, spécifiquement pour les SDF. Ceci étant une estimation fragile, mais sensée.
Qui sont donc les SDF et combien sont-ils ? La fondation Abbé Pierre, corroborée par l’Insee, dénombre 3 millions de mal-logés, et, parmi eux, 100.000 personnes sans domicile fixe. La plupart d’entre elles se trouvent dans des centres d’hébergement. 10 % seulement sont dans la rue. Si on accepte cet ordre de grandeur de 100.000 SDF, on aboutit à une dépense par individu extrêmement élevée. Le nouveau quart de milliard d’euros porte la dépense mensuelle par SDF à 1.875 euros par mois. La France est certainement le pays au monde qui dépense, directement et indirectement, le plus en direction des SDF.
L’intervention sociale, en conditions extrêmes, est naturellement coûteuse. Il est toutefois loin d’être assuré que la dépense soit aujourd’hui des plus efficientes… En témoigne la récurrence annuelle des controverses et des revendications. Ce n’est cependant pas en ajoutant des moyens sur les mêmes objectifs ni en critiquant l’insuffisance de ces moyens que le dossier avancera. Pourquoi donc ne pas se fixer véritablement, comme d’autres pays l’ont fait, l’objectif « zéro SDF » ? A l’aune de cette visée, tous les instruments et moyens, particulièrement élevés, affectés à ce pan fondamental de la lutte contre l’exclusion, pourraient être revus, utilement.
JULIEN DAMON est professeur associé à Sciences po.